Plus de saison pour les saisons ?

Fraises, courgettes, tomates, aubergines : une courte liste des fruits et légumes que l’on attend avec impatience toute l’année et dont on se régale tout au long de l’été !

À vrai dire, ces produits commencent dès le printemps à envahir nos étals de marché et de magasins spécialisés. Certains viennent déjà de France à l’instar des fraises qui ont commencées à pointer le bout de leur nez à la mi-mars. Mais ce n’est pas ce que vous diront ceux qui les cultivent en pleine terre. Et puis lorsqu’on parle de saison, on s’inscrit dans une aire géographique précise. Bien que tout le monde ait ce mot à la bouche, et souvent pour souligner un engagement responsable, on ne sait plus vraiment ce qu’il signifie. Peut-on encore parler de saison ? Et dans quelle mesure ? Et est-ce que manger de saison rime avec engagement responsable ? Ou n’est ce qu’une manière galvaudée de parler de durabilité en cuisine?

« Saisons » : de quoi parle-t-on au juste ?

Manger de saison, c’est adapter son assiette en fonction de la disponibilité des produits à un moment donné. Les fruits et légumes suivent un cycle, et il faut donc attendre qu’ils arrivent à maturité pour pouvoir les consommer. Les plantes ont toutes besoin de soleil, d’eau et de chaleur pour pousser à des degrés variables. Si certaines croissent à vue d’oeil, d’autres ont besoin de plusieurs mois pour être prêtes à être consommées.

Ce qu’il est dès lors important de retenir, c’est que les saisons sont propres à chaque territoire. Rien qu’entre le Nord et le Sud de la France, on note des écarts importants. Si la saison de la tomate est à son top en juillet dans le sud, il faut attendre le mois d’août pour être à la pleine saison sur les marchés du Nord. Cette région bénéficiant d’un climat moins favorable, les tomates ont besoin de plus de temps pour arriver à maturité. Des différences peuvent même être remarquées entre deux fermes à quelques kilomètres d’écart !

Dans la même logique, la période de récolte est différente chaque année. En fonction des conditions météorologiques, les “saisons” changent d’une année à l’autre. Et le dérèglement climatique ne favorise pas la stabilité. Au contraire ! Il perturbe grandement les saisonnalités. Les vendanges ont notamment avancées de 2 à 3 semaines en 40 ans !

Dans un système mondialisé, la notion de saison est également chamboulée. En effet, il y aura toujours un pays où on trouvera des tomates, des concombres, des aubergines, etc.

Dès lors, « manger de saison » a-t-il encore un sens ? Restaurateurs, métiers de bouche, primeurs, citoyens soulignent leur attachement aux produits de saison, mais on se perd parfois dans sa signification.

Des cycles perturbés

Lorsqu’on parle de saison, on se réfère bien souvent à la période de maturité des produits en plein champs. Mais les saisons ce n’est pas que pour les fruits et légumes : les fromages, viandes et poissons ont également leur calendrier. Les évolutions des méthodes de production, au cours du XXe siècle notamment, ont permis d’annualiser les cultures, et de dépasser les rythmes naturels pour augmenter les volumes et la disponibilité des produits. A titre d’exemple, en maraîchage, les serres chauffées permettent de reproduire les conditions parfaites pour faire pousser des légumes d’été toute l’année.

Une rapide histoire des serres

L’histoire des serres démarre avec la volonté de proposer des produits hors-saison sur les marchés parisiens au XIXe siècle. C’est ensuite à partir des années 1950-60, que la production sous serre explose. A titre d’exemple, plus de la moitié des tomates étaient produites sous serres au milieu des années 1970 en France. Cependant, pour produire toute l’année ces légumes dont on raffole – tomates, aubergines, concombres – ces serres ont besoin d’être chauffées. Aujourd’hui, elles fonctionnent principalement au gaz, et ont une empreinte carbone très importante. L’Ademe s’est penchée sur la question et a évalué qu’une tomate produite sous serre chauffée a un bilan carbone 6 fois plus important qu’une tomate de plein champs. Toujours selon les calculs de l’Ademe, ce n’est pas le transport qui a l’impact le plus important dans un bilan carbone mais bien la phase de production. Dès lors, une tomate de saison importée, aura toujours un impact carbone moindre qu’une tomate produite sous serre chauffée. C’est là que l’argument du local et de saison prend tout son sens.

Serres de fruits rouges

 

Il ne faut cependant pas confondre avec les serres froides, qui, pour le coup, apportent de nombreux avantages aux agriculteurs. En effet, les serres froides permettent de limiter les variations de température, d’emmagasiner un peu de chaleur lorsqu’il y a du soleil et surtout de protéger les plantes des aléas climatiques. C’est ainsi un moyen d’étendre légèrement la période de production, sans dénaturer la notion de saison, tout en apportant une protection non-négligeable des récoltes pour les agriculteurs.

Détour du côté des fromages et des viandes

Pour les fromages, il faut du lait. Et pour avoir du lait, il faut que la femelle mette bas. Les cycles sont propres à chaque espèce, mais suivant l’environnement, les chaleurs peuvent se concentrer sur une partie de l’année. Ainsi, les périodes de reproduction vont plutôt avoir tendance à avoir lieu de manière à ce que les petits arrivent au printemps. Ces derniers pourront ainsi profiter de l’herbe fraîche et abondante et devenir autonome plus facilement après le sevrage. C’est notamment le cas de la chèvre, qui met bas à la fin de l’hiver après une gestation de 5 mois.

Troupeau de moutons de Soay

 

Cependant, plusieurs innovations et techniques chamboulent ou domptent ces cycles. Dans certains élevages, le choix a notamment été fait de synchroniser les chaleurs en recourant à un traitement hormonal, suivi d’une saillie ou d’une insémination artificielle, concentrant alors les mises bas. Plus récemment, c’est la technique de lactation longue, qui consiste à poursuivre la lactation en l’absence de mise bas, pour lisser les productions de lait sur l’année. Celle-ci est principalement utilisée chez les caprins, tout en restant minoritaire et en débat. Elle a l’avantage de limiter l’abattage des chevreaux non-nécessaires au renouvellement du cheptel.

Le rythme « naturel » des cycles, dans des conditions d’élevage, est donc compliqué à évaluer. Dès lors, lorsqu’on se réfère à la saisonnalité des viandes et des fromages, on va davantage faire allusion au moment de l’année où ils sont les plus propices d’un point de vue éthique (bien-être animal) et gustatif à être dégustés. Ainsi, les fromages frais et à courte durée d’affinage seront à déguster du printemps à l’automne, dont le goût pourra varier en fonction de l’alimentation des bêtes. En hiver, la part belle sera faite aux fromages à durée d’affinage moyenne et longue.

Vaches Highland de la Ferme du Beau Pays

 

Quant aux viandes, c’est aux périodes de reproduction et de croissance qu’il faut être vigilant, afin de permettre à l’animal de croître au mieux et donc d’obtenir une bonne chair.

Et les poissons ? 

Cela vaut également pour les poissons. En ce qui concerne les ressources halieutiques sauvages, ce sont davantage les stocks qui peuvent être mis en danger, comme cela a été le cas du saumon et du thon rouge. Le non-respect des périodes de reproduction et de migration des poissons peut empêcher le renouvellement des stocks et la bonne croissance des espèces. En 2022, l’IFREMER constatait une réduction des sardines en Méditerranée de 15 à 11 cm et la disparition des individus de plus de 2 ans, pour une espèce dont la longévité se situe entre 10 et 15 ans, et dont l’abondance avait toujours régné. Mais pas de panique, à chaque poisson sa saison ! Leur cycle étant décalé, il y aura toujours un poisson pour alimenter les étals du poissonnier. Attention tout de même à être vigilant à l’état des stocks marins en plus du respect de la saisonnalité, pour éviter de mettre la ressource en danger.

Filets de hareng fumé
Dégustation d'un vin en élevage dans un fût de chêne

A la pêche des produits contre-saisons 

Le reblochon, il n’y a pas d’hésitation me direz-vous : c’est un fromage star de nos plateaux d’hiver ! Et pourtant, c’est en juillet que la saison bat son plein. Il est produit en juin à partir de lait de pâturage, et nécessite ensuite entre 15 et 25 jours d’affinage. Au niveau régional, c’est la même histoire. Véronique, de la Ferme des Bahardes, une des dernières à produire du Maroilles fermier, soulignait à l’événement Chaud Devant organisé par la communauté Ecotable à Lille, qu’au départ l’unique AOP fromagère du Nord était principalement produite en été. Mais avec un pic de demandes s’étalant de l’automne au printemps, la production a été annualisée.

Autre tradition trompeuse : l’agneau de Pâques. La star du repas de Pâques, n’est pourtant pas de saison au début du printemps ! La reproduction a lieu à l’automne, pour une mise bas entre janvier et juillet, et est suivi d’un engraissement allant de 5 à 8 mois. Les agneaux sont donc de saison plutôt de juin à décembre.

Sélection de fromages du Nord

Le goût des saisons

La saisonnalité est souvent avancée comme un gage de goût. Et cela est vrai ! Les fruits et légumes de saison auront eu le temps de profiter du soleil, d’arriver à maturité et ainsi d’être plus savoureux. Les fromages quant à eux vont voir leur goût changer en fonction de l’alimentation donnée aux animaux au fil de l’année. Au printemps, l’herbe est fraîche et les prés se parsèment de fleurs, des notes que l’on retrouve sans nul doute dans les fromages !

Les saisons ont-elles encore un sens ?

Malgré des innovations techniques et technologiques qui ont permis d’annualiser les productions, les saisons continuent largement de rythmer le calendrier agricole. Et si le terme de « saison » n’est pas toujours facile à cerner, il prend plus de sens lorsqu’on l’associe au bio et au local. En effet, consommer des fruits, légumes, viandes, poissons et fromages produits dans le respect du vivant et des cycles naturels à côté de chez soi témoigne d’un véritable engagement pour l’environnement et l’économie locale.

Si les doutes persistent, le plus simple est encore de demander conseil à votre producteur et/ou commerçant!

Et pour ceux qui aiment faire durer les plaisirs de l’été, et manger des fraises et des tomates toute l’année, on vous propose d’opter plutôt pour des méthodes de conservation type confitures, fermentations, ou encore séchage.

Panier de légumes

Rédactrice : Judith Deck-Schegg